Vivre en pleine conscience de notre mortalité

Ma passion pour les sujets qui portent sur la mort surprend plusieurs personnes. Mais souvent, les gens que je rencontre n’hésitent pas à me parler de la mort d’une personne qu’ils aimaient. Lorsque je démontre mon intérêt et les invite à poursuivre leur récit, ils se détendent. C’est comme si secrètement ils espéraient recevoir une invitation pour enfin pouvoir en parler. Ils expriment un sentiment de soulagement de partager avec une personne qui a une écoute pour ce genre d'évocation. De prime abord, ça peut même être déroutant pour des gens de constater combien je suis détendue, réceptive et sincèrement intéressée d’entendre leurs histoires au sujet de la mort. C’est souvent plus facile aussi de s’ouvrir avec une personne inconnue.

Encourager les gens à se détendre afin de pouvoir aisément parler et partager sur différents aspects concernant la mort et le mourir, est devenu ma vocation principale. Dans un environnement propice, je constate que les gens s’ouvrent facilement pour échanger et discuter sur les différents thèmes qui abordent la mort. En Amérique du Nord et au sein des cultures de l’Ouest, beaucoup ont peur de se montrer vulnérables avec d’autres. Cette réticence ne me surprend pas. De façon générale, le conditionnement social et culturel que nous avons reçu nous enseigne davantage à garder pour nous-mêmes et à refouler nos émotions fortes, difficiles et inconfortables. En particulier, celles qui touchent la tristesse, le chagrin et les peines profondes, elles sont presque devenues tabous pour beaucoup d’entre nous.

Plusieurs ont peur que s’ils ouvrent cette porte et que les larmes se mettent à couler, que leurs auditeurs deviennent mal à l’aise. Ou bien, ils craignent que s’ils en parlaient, ça ouvrirait la boîte de pandore et compromettrait leur processus de deuil. Ce que j'ai observé est l'opposé. Je pense que les gens n’ont pas l’habitude d’être entièrement écoutés et attentivement reçus, encore moins quand il est question de deuil et de tristesse. Parler de la peine que nous ressentons et de la transformation que nous avons vécue face à cette épreuve est guérisseur pour les personnes qui vivent un deuil. Un bienfait additionnel d’un tel partage est que, ça invite les autres à en faire autant.

Accompagner un membre de famille, un partenaire ou un ami jusqu’à la mort peut être un événement bouleversant dans la vie d’une personne.  Lorsqu’on a l’occasion de partager notre vécu, et particulièrement avec un auditoire qui reçoit bien ce type de partage, c’est en fait recevoir un véritable cadeau de soutien.

Mon mari me racontait il y a quelque temps que les conversations que nous avions sur la mort et le mourir lorsque je poursuivais mes études, fut importantes pour alléger son approche face à la mort. Plusieurs des livres que nous avons lus ensemble ont suscité des échanges et réflexions que nous n’aurions pas eus autrement. Il a participé à tous les événements que j’ai animés sur la mort et le mourir. Tout cela fut enrichissant pour nous deux et continu de l’être.

Il m’a confié combien cet encadrement l’avait aidé à revisiter ce qu’il a traversé avec la mort de sa première femme. S’il avait su ce qu’il sait maintenant, tous les deux auraient pu vivre la fin de vie de sa femme différemment.  Il réalise que le déni qu’il vivait de la maladie terminale de sa femme l’a rendu aveugle à ce qui se déroulait réellement. Il dit qu’il était très attentif à elle, mais qu’il était inconscient du fait qu’elle était en fin de vie.

Il se dit reconnaissant de la conscientisation qu’il a développée et se sent mieux préparé pour persévérer dans son éveil quand viendra le temps de sa fin de vie, ou de la mienne.

La plupart du temps, nous ne sommes pas prêts pour la mort de notre conjoint ni pour la nôtre.  Être prêt n’est pas la même chose que d’être préparé. Nous ne serons probablement jamais prêts pour notre mort, mais nous pouvons nous y préparer. Bien que nous vivions dans une société qui nie la mort, c’est possible de s’éduquer et d’apprivoiser la réalité de notre mortalité. Par une simple observation, nous sommes témoins des différentes façons, moments et circonstances où elle se présente à nous dans la vie de tous les jours. Nous vivons régulièrement des fins de toutes sortes. Des relations qui se terminent, des emplois que l’on quitte, les changements de nos corps de la jeunesse à la vieillesse, des environnements démolis et transformés, pour en nommer que quelques exemples. La mort est inscrite dans le code de la vie elle-même. Elle permet à la vie de se régénérer et a évolué en créant les changements nécessaires. Nous avons des occasions perpétuelles pour nous rendre compte de la présence inévitable des finalités.

C’est essentiel, selon moi, de réfléchir et d’avoir des conversations au sujet de notre mort avec les personnes importantes dans nos vies. Leur communiquer nos désirs, nos peurs et ce qu’on espère pour notre fin de vie. Bien entendu, nos préparations financières et testamentaires sont essentielles. Mais ce n’est pas de cela que je parle. Les conversations, tout aussi importantes, sont celles du cœur.  Lorsque nous faisons la paix avec notre propre mortalité, nous la transmettons inévitablement à ceux qui nous entourent par notre attitude et notre exemple.

Je vous invite à considérer la possibilité que vivre quotidiennement avec la conscience de notre impermanence nous soit bénéfique. Une réflexion toute simple, alors qu’on lave la vaisselle ou qu’on promène le chien, qu’est-ce qui pourrait être différent si je vivais en sachant vraiment que je vais mourir? La fin de la vie telle que je la connais pourrait arriver demain ou la semaine prochaine, et les gens que j’aime pourraient aussi mourir. Est-ce que ça changerait ma façon d’être avec moi-même, les autres et mon environnement si je demeurais paisiblement sensibilisé à ma mortalité ?

Précédent
Précédent

Quelle est votre relation avec le temps ?